A chacun des stades de ma mécanique pensante, il y a des trous, des arrêts, je ne veux pas dire, comprenez-moi bien, dans le temps, je veux dire dans une certaine sorte d’espace (je me comprends); je ne veux pas dire une pensée en longueur, une pensée en durée de pensées, je veux dire UNE pensée, une seule, et une pensée EN INTERIEUR ; mais je ne veux pas dire une pensée de Pascal, une pensée de philosophe, je veux dire la fixation contournée, la sclérose d’un certain état. Et attrape! Je me considère dans ma minutie. Je mets le doigt sur le point précis de la faille, du glissement inavoué.Car l’esprit est plus reptilien que vous-même, Messieurs, il se dérobe comme les serpents, il se dérobe jusqu’à attenter à nos langues, je veux dire à les laisser en suspens.Je suis celui qui a le mieux senti le désarroi stupéfiant de sa langue dans ses relations avec la pensée.Je suis celui qui a le mieux repéré la minute de ses plus intimes, de ses plus insoupçonnables glissements.Je me perds dans ma pensée en vérité comme on rêve, comme on rentre subitement dans sa pensée. Je suis celui qui connaît les recoins de la perte.
Antonin Artaud
« L’ombilic des Limbes »