poème d’André Breton, 1925 ;
Non-lieu
Art des jours art des nuits
La balance des blessures qui s’appelle Pardonne
Balance rouge et sensible au poids d’un vol d’oiseau
Quand les écuyeres au col de neige les mains vides
Poussent leurs chars de vapeur sur les prés
Cette balance sans cesse affolée je la vois
Je vois l’ibis aux belles manières
Qui revient de l’étang lacé dans mon coeur
Les roues du rêve charment les splendides ornières
Qui se lèvent très haut sur les coquilles de leurs robes
Et l’étonnement bondit de-ci de-là sur la mer
Partez ma chère aurore n’oubliez rien de ma vie
Prenez ces roses qui grimpent au puits des miroirs
Prenez les battements de tous les cils
Prenez jusqu’aux fils qui soutiennent les pas des
danseurs de corde et des gouttes d’eau
Art des jours art des nuits
Je suis à la fenêtre très loin dans une cité pleine d’épouvante
Dehors des hommes à chapeau claque se suivent
à intervalle regulier
Pareils aux pluies que j’aimais
Alors qu’il faisait si beau
« A la rage de Dieu » est le nom d’un cabaret où je suis entré hier
Il est écrit sur la devanture blanche en lettres plus pâles
Mais les femmes-marins qui glissent derrière les vitres
Sont trop heureuses pour être peureuses
Ici jamais de corps toujours l’assassinat sans preuves
Jamais le ciel toujours le silence
Jamais la liberté que pour la liberté