« Le temps comme objet immanent d’une conscience est un temps nivelé, en d’autres termes n’est plus du temps. Il ne peut y avoir de temps que s’il n’est pas complètement déployé, si passé, présent et avenir ne sont pas dans le même sens. Il est essentiel au temps de se faire et de n’être pas, de n’être jamais complètement constitué.
Le temps constitué, la série des relations possibles selon l’avant et l’après, ce n’est pas le temps même, c’en est l’enregistrement final, c’est le résultat de son passage que la pensée objective présuppose toujours et ne réussit pas à saisir. C’est de l’espace, puisque ses moments coexistent devant la pensée, c’est du présent, puisque la conscience est contemporaine [475] de tous les temps.
C’est un milieu distinct de moi et immobile où rien ne passe et ne se passe. Il doit y avoir un autre temps, le vrai, où j’apprenne ce que c’est que le passage ou le transit lui-même. Il est bien vrai que je ne saurais percevoir de position temporelle sans un avant et un après, que, pour apercevoir la relation des trois termes, il faut que je ne me confonde avec aucun d’eux, et que le temps enfin a besoin d’une synthèse. Mais il est également vrai que cette synthèse est toujours à recommencer et qu’on nie le temps à la supposer achevée quelque part.
C’est bien le rêve des philosophes de concevoir une « éternité de vie », au delà du permanent et du changeant, où la productivité du temps soit éminemment contenue, mais une conscience thétique du temps qui le domine et qui l’embrasse détruit le phénomène du temps. Si nous devons rencontrer une sorte d’éternité, ce sera au cœur de notre expérience du temps et non pas dans un sujet intemporel qui serait chargé de le penser et de le poser. »
Maurice MERLEAU-PONTY